LE ROLE DES GRANDS-PARENTS OU LA TRANSMISSION INTERGENERATIONNELLE
L’héritage
Selon François de Singly et Karine Chaland, tous deux sociologues, les grands-parents ont un “second rôle” à jouer dans la sphère familiale. Ce sont les parents qui occupent le “premier rôle”. Le mot “second” n’est pas à comprendre dans le sens de “secondaire”. Il est utilisé pour montrer que ce “second rôle” s’accorde avec le “premier rôle”. Tous ces enjeux sont mis en mouvement grâce à la dynamique familiale. Michel Billé, sociologue, déclare que jouer ce rôle, c’est ce qui va permettre d’entrer dans le statut de grand-parent et d’être désigné comme tel : ” chacun peut avoir ses préférences, c’est légitime, mais on ne se met sans doute pas dans le même rôle selon qu’on se fait appeler “grand-père”, “papy”, “grand-papa”, “pépé” ou encore par son prénom. Chaque famille a ses habitudes, sa culture, son langage, et l’essentiel est sans doute de se sentir bien dans la désignation que l’on adopte. Cette dénomination est le signe du statut grand-parental” . Pour Françoise Le Borgne-Uguen, sociologue, la grand-parenté est “un rôle à inventer, centré sur le plaisir, les gratifications des formes d’attention partagées entre grands-parents et petits-enfants. […] Ce qui est relevé, principalement, c’est la satisfaction d’occuper un “second rôle” pour le plaisir, moins contraint que celui des parents.”
Tout d’abord, dans une relation entre des grands-parents et leurs petits-enfants, il existe un réel échange intergénérationnel qui ne se base pas uniquement sur la garde des petits-enfants et les gratifications. Il est important d’entretenir une relation qui repose sur l’être, le parler et l’agir. Pour un petit-enfant en général, son grand-parent représente quelqu’un de significativement important dans sa vie, surtout pour la transmission des valeurs de la famille, de la religion, des traditions. Un grand-parent inscrit physiquement et psychiquement son petit-enfant dans l’espace. C’est à dire qu’il est la source d’un enracinement, il est témoin de ses origines. La transmission de l’héritage culturel passe par les grands-parents : un nom, une histoire, une famille, une terre, un mode de vie, des façons d’être, des façons de parler. Toutes ces choses que l’on fait parce qu’on est persuadés qu’elles doivent être faites ou dites comme cela. Parfois même, la transmission d’objets ou de choses paraissant anodines d’un grand-parent à son enfant (recettes culinaires, bijoux, anecdotes familiales, photos, …) peut devenir un don extrêmement important dans la vie de ce dernier. Caroline nous raconte que sa grand-mère lui avait donné une bague d’un style très ancien, en inadéquation avec le style de bijoux qu’elle a l’habitude de porter, mais qu’il était important pour elle de la porter tous les jours : “C’est devenu vital lorsqu’elle nous a quittés, je ne peux plus sortir sans cette bague. C’est un peu d’elle que j’emmène avec moi quand je sors.”
Pour un petit-enfant, le grand-parent est un lien entre passé et avenir. Il se trouve à la charnière des générations et, dès qu’un pan de l’histoire familiale paraît étrange ou tabou, les petits-enfants sont tentés de s’adresser à ceux qui doivent savoir la vérité. Quand il n’y a pas de liens, les petits-enfants se retrouvent uniquement face aux désirs de leurs parents. Les grands-parents constituent une respiration par rapport aux parents. Si la relation avec eux est bonne, ils peuvent jouer un rôle d’intermédiaire entre ces deux générations qui les suivent, ainsi qu’un rôle de soutien. Parfois, dans les conflits familiaux, les grands-parents permettent de rétablir l’équilibre. Geneviève De Taisne déclare que “les jeunes respirent l’oxygène de l’ouverture, de la liberté et l’amour” qui émane de leurs grands-parents.
Avoir des petits-enfants, c’est accepter cette chaîne qu’est une famille et donc la transmission de son histoire, avec ses heures de gloire et ses limites. C’est aussi créer du neuf dans cette relation si particulière.
Une place difficile à trouver
Il est bien évident que le rôle des grands-parents est différent de celui des parents. Devenir grand-parent suppose certaines ressources, puisqu’il faut se situer à sa juste place mais aussi renoncer à sa fonction de parent éducateur. Geneviève De Taisne parle d’ascèse pour définir ce fait. L’ascèse ou ascétisme est une discipline volontaire du corps et de l’esprit cherchant à tendre vers une perfection par une forme de renoncement ou d’abnégation. Il n’est pas facile pour les “anciens” d’accepter que les parents soient les seuls responsables de l’éducation de leurs enfants. C’est dans ce sens qu’elle parle également des notions de présence et de silence pour définir le rôle grand-parental : le silence symbolise la liberté que les grands-parents reconnaissent aux parents. Cependant, ce silence ne rime pas avec absence ou démission, mais plutôt avec présence car le rôle des grands-parents est, avant tout, d’être là, accueillants pour leurs petits-enfants. La difficulté pour les grands-parents à trouver leur place dans ce nouveau noyau familial repose également sur le fait que la relation entre un bébé et ses grands-parents dépend beaucoup de celle qui existe entre parents et grands-parents. En effet, comme évoqué précédemment, ce sont les parents qui décideront ou non du rôle que les grands-parents auront à jouer. C’est ce qu’Arthur Kornhaber appelle “le nouveau contrat social”. Il le définit comme une force contractuelle “car elle donne aux parents le droit et le devoir de décider si, et dans quelle mesure, les grands-parents s’occuperont de leurs petits-enfants. Elle est sociale puisque fondée sur des attitudes nées d’une expérience familiale due à un changement de société. Et parce qu’elle s’est développée au cours de la vie des grand-parents actuels, elle est nouvelle.” Parfois, certains grands-parents peuvent choisir de se détacher affectivement de leurs petits-enfants. “Lorsque mon petit garçon est né, j’ai très vite compris que ma fille refuserait catégoriquement que je m’implique dans l’éducation de son enfant. Pour éviter de souffrir en m’attachant plus que de raison à ce petit, je m’efface, je m’éloigne” confie Danièle, 74ans. D’autant plus, qu’en général, chaque petit enfant a quatre grands-parents. Il faut donc savoir partager les temps de présence, de soin et d’accompagnement du petit-enfant avec ses autres grands-parents. Des conflits peuvent émerger de ce partage et, la plupart du temps, ils affectent toute la famille. Il faut aussi pouvoir intégrer le fait qu’à la différence d’un enfant qui porte dans son coeur une seule mère et un seul père, un petit-enfant aime deux grands-mères et deux grands-pères issus de deux familles différentes. De plus, même si les grands-parents n’ont pas un rôle éducateur, lorsqu’ils reçoivent leurs petits-enfants, il est important pour eux d’imposer leurs propres règles au sein de leur foyer. Et ce, même si elles sont différentes de celui des parents et surtout lorsque les petits-enfants n’ont pas les mêmes parents et ont donc une éducation différente à la maison. En effet, il est impossible pour les grands-parents d’imposer les mêmes règles que chez les parents puisque parfois les éducations divergent. Il faut nécessairement que, dans le foyer grand-parental, il existe un fonctionnement propre à ce foyer. L’essentiel étant qu’il n’empiète pas sur la responsabilité éducative des parents.
Malgré toutes ces difficultés, les grands-parents sont généralement les fondations sur lesquelles reposent l’édifice familial et lorsqu’ils vieillissent ou disparaissent de quelque manière que ce soit, leur absence est mortifère.
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