Vous en avez peut-être entendu parler : le mardi 28 septembre 2021, Emmanuel Macron a annoncé que, dès janvier 2022, les consultations chez les psys dès l’âge de 3 ans seraient remboursées par la CPAM. Vous avez certainement entendu aussi que la majorité des psychologues étaient mécontents et appelaient au boycott de ce système. Je fais partie de cette majorité et je vais vous expliquer pourquoi. Attention, je ne crée pas ce post pour me faire plaindre ou me victimiser. Le but principal étant d’exprimer les raisons pour lesquelles je me bats contre cette réforme qui dénature complètement ce métier que j’aime et pour lequel je me suis investie et m’investis toujours .
Voici les conditions dans lesquelles le remboursement sera possible :
– une ordonnance d’un médecin permettra l’accès à 8 consultations de psychologie par an
– la première au tarif de 40e , les suivantes au tarif de 30e à raison de 30min/consultation.
– si ces séances ne sont pas suffisantes, il faudra l’ordonnance d’un psychiatre.
– sans dépassement d’honoraires
Mon métier n’a plus aucun sens dans ce contexte. Je ne peux pas travailler en 30min. Recevant une majorité de patients mineurs, je prends toujours du temps pour vous, parents, sur 1h de consultation. En 30min, il me sera impossible de faire quoi que ce soit de constructif. Je ne suis pas magicienne donc je n’ai absolument pas la prétention de “soigner” en 8 séances. Je ne soigne pas d’ailleurs , j’accompagne et soutiens. Je travaille avec l’humain, l’inconscient, les émotions, ça prend du temps et ça n’est pas si simple, tel un médicament qui viendrait guérir un symptôme. Pour aider mon patient, j’ai besoin de sa confiance, qu’il soit enfant, ado ou adulte. La confiance ne s’acquiert pas en un claquement de doigts. De la même façon que de lourds secrets ne se livrent pas miraculeusement au début d’un suivi. J’ai besoin de temps, c’est un de mes outils de travail les plus précieux.
Je refuse de recevoir mes patients à la chaîne toutes les 30min dans le but de pouvoir payer mes charges (loyer, URSSAF, formations, supervision, fournitures …) et en détruisant ma disponibilité psychique. Cette dernière fait aussi partie de mes outils de travail sans lesquels je ne pourrais pas exercer. Je tiens à préserver tout ça car j’ai beaucoup de respect pour chacun de mes patients.
Je suis pour la reconnaissance de la souffrance psychique ainsi que pour la liberté de consulter. À ce titre, j’estime qu’un médecin n’est pas en mesure de décider si la souffrance de son patient nécessite un suivi psy ou non. Vous êtes les seuls à savoir à quel point vous souffrez et à quel point vous avez besoin d’aide. Nos médecins n’ont-ils déjà pas une surcharge de travail? De plus, qu’en est-il pour ceux vivant dans un désert médical? Je pense aussi à ceux qui ont des difficultés à verbaliser leur souffrance et franchir la porte d’un psychologue, ne serait-ce que pour prendre rdv. Ne serait-il pas encore plus compliqué de rajouter une étape supplémentaire?
Je suis pour l’accès aux consultations de psychologie pour tous. A ce titre, j’ai toujours proposé des tarifs réduits ou libres pour les plus démunis ou pris le temps d’échanger avec ceux qui n’avaient pas les moyens pour les orienter au mieux.
Mon métier ne se limite pas à ce qui se passe dans mon bureau en présence de mon patient. Lorsqu’il sort de sa consultation, je pense encore à lui, à comment je pourrais l’aider, à quels outils je pourrais utiliser pour le guider au mieux dans sa quête de mieux-être lors de la prochaine séance. Je réfléchis également à ma posture professionnelle que je réajuste constamment et que j’élabore en supervision. J’échange avec les enseignants quand c’est nécessaire, je me dégage du temps pour être disponible pour tous les professionnels gravitant autour de l’enfant que je reçois. Il existe aussi derrière tout ça, un réel travail administratif et comptable car je suis auto-entrepreneure.
Ce sont les larmes aux yeux et la gorge nouée que je vous annonce que si, aux yeux du Gouvernement Français, être psychologue c’est faire du travail d’écoute à la chaîne sans prendre en compte le réel de la souffrance psychique alors je renoncerais à mon titre car j’ai trop de respect pour ce métier et mes patients pour les réduire à cela.
J’ai peur aussi. Peur pour ma profession déjà limitée en institution. Peur pour mes patients. Peur pour ceux qui souffrent. Peur pour mes confrères et consoeurs.
Mais j’ai foi en l’humain et la solidarité.
J’ai encore l’espoir que cela évolue car cette réforme part d’une belle intention. C’est pour cette raison que je participe au boycott.
Les annonces faites pour le remboursement des séances ne sont pas acceptables.
Je suis pour le remboursement mais pas dans ces conditions.
Si vous avez des questions et/ou remarques à ce sujet, je reste à votre écoute.
Pauline Blocquel
